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Denis Dufour | Notice des œuvres

Lux tenebrae

1997 | 22'14 | opus 98 | acousmatique | support audio | 2 pistes | éditions Maison Ona

• Réalisation sur magnétophones et sur ordinateur au studio du compositeur à Crest

• Prises de son : Denis Dufour

• Création à Perpignan, Le Mediator, le 14 novembre 1997 pour l'Acousma-rave du festival Aujourd’hui Musiques par Jonathan Prager sur acousmonium Motus

Avec ces couleurs élégiaques, Lux tenebrae n’est pas une pièce hédoniste ! C’est une machine rythmique “impitoyable”, d’une longueur éprouvante – exprès –, maîtrisée souverainement dans sa progression infaillible, une sorte de course, sans issue, d’exercice d’endurance, de gageure… On pense au Pierre Henry de La Noire à soixante + Granulométrie, par exemple… Une maigre cantatrice caricaturale, un brin sinistre, entre comique et douloureuse – qui immanquablement vous évoquera la Mort dans quelque danse macabre de panneau médiéval –, promène son solo aigrelet par-dessus une unanimité chevauchante : celle de la masse polyrythmique accompagnante, galop fatal. Cette dernière, et surtout au début, offre (dans la massive, et menée de main de maître, course à l’abîme qu’est toute cette œuvre) des délicatesses délicieuses autant rythmiques que de couleurs. Rarement chevauchements si délicats de rythmes (évoquant les mécaniques horlogères), et si touchants déboîtements sont proposés dans la musique acousmatique (qui semble ne pas les aimer, alors que sa technologie y prédispose). Le “timbre” artisanal, qu’on a fondu pour y tailler ces carrures impeccables, en décalage subtil évoluant, souligne leur saveur arithmétique avec cette concrétude a priori antinomique qui fait servir le naturel à des fins ostensiblement artificielles… Un peu le même principe que d’implanter des jungles dans des jardins à la française. [Jean-Christophe Thomas]

 

Symphonie de forgerons néandertaliens et de pleureuses grecques, concerto pour batteuse de boulangerie industrielle avec chœurs de cireuses de linoléum, cette grande giclée aux couleurs techno aspire l’audition dans sa spirale de slogans futuristes déroulés sur un ton énergique et désinvolte. Musique de process (plus que de processus), agglutination de séquences finalement et finement déliées, superstructure avançante et inexorable, cette œuvre produite pour la nuit de l’acousma-rave à Perpignan signe peut-être davantage le caractère stylisé, opiniâtre et entêtant de son auteur qu’elle ne singe véritablement les énièmes remixes de la scène transe, ruminée et éructée finalement discrètement presque en une tourbillonnante timbale de fête foraine que personne à part Denis Dufour n’aura peut-être la force d’attraper. Train d’enfer aux accents de requiem (mais pour quelle sombre concentration de matière ?), horde trépidante et impitoyable frôlement de textures arrachées à l’anecdote, et à l’histoire, donc au temps, que cette œuvre fixe et fait voltiger comme une musique de derviche. Summum de matériau et d’esprit, peut-être. [Thomas Brando]

 

Musique de circonstance, composée pour les nuits blanches de l’acousma-rave (1), avec un matériau qui renvoie à divers univers et rites musicaux : percussions puissantes et réverbérées sur cuves métalliques (musiques de rue), soprano au vibrato éclaté (opéra), boucles et sillons fermés (musique concrète), frottements et raclements répétés inexorablement (musique industrielle), mais aussi processus de sons électroniques au synthétiseur, et réminiscences de ma Messe à l’usage des vieillards. J’ai fondu le tout dans une idée unique et simple de montée en puissance, de crescendo de densité et d’accélération, rythmé binaire en va-et-vient, comme une respiration de plus en plus pleine et tendue, faisant de cette pièce une étude de rythme, une danse psychoacoustique. Avec les moyens numériques d’alors, j'ai élaboré les ingrédients de l’œuvre avec la même spontanéité, la même attitude expérimentale, la même ouverture à l’improvisation que toujours, même si l'investissement physique est bien différent de celui qu’exigeaient les magnétophones du studio analogique (2) : devant l'ordinateur, c'est principalement assis que je travaille et envoie mes “ordres de calcul”. Et pourtant, rien n’a changé dans le processus créatif, ni dans le résultat que je poursuis. C'est par d’autres moyens que je gonfle d'énergie et de volupté mes œuvres, en forçant les contrastes et les dynamiques, en multipliant les plans sonores, en captant les sons dans des espaces de réverbération les plus divers, en refusant aussi la facilité dangereuse de certains filtres de transformation, dont la puissance automatique risquerait de détruire l'âme. L'étape primordiale (fondatrice) de la prise de son non plus n'a pas varié. C'est dans l'enregistrement des séquences, des matériaux, des objets sonores que j'élabore le principe, l’esprit de l’œuvre à venir. Dans Lux tenebrae, j'ai joué ma progression musicale d'abord en live, sur divers corps sonores, traquant au micro chaque avancée et chaque repli de la variation rythmique avant de la confirmer, de l'amplifier et de l'orchestrer par les moyens du studio numérique. Dans un processus d’harmonisation, de coloration qui leur conserve une vitalité première, une profondeur qui m’a séduit et inspiré. Ainsi, plus que leurs transformations, c'est leurs juxtapositions, leurs superpositions et la captation d'heureuses coïncidences qui fait de ma liberté d'écriture un style je le crois reconnaissable, même ici. [Denis Dufour]

 

(1) De 1997 à 2003, les acousma-raves programmaient une nuit durant une suite non-stop d’œuvres acousmatiques à destination d’un public croisé, amateurs de musiques électroniques ou concrètes, qui pourraient se définir de la manière suivante : œuvres basées sur une pulsation continue, une densité sonore constante et jouant du continuum rythmique, d’une dynamique permanente et obsédante, bref, des œuvres à écouter avec le corps (donc à la limite pourquoi pas du genre techno). Bien sûr on était sur le fil du rasoir, car on n’y rencontrait pas l'écoute attentive et recueillie des concerts électroacoustiques, ni la transe continue du raver. Selon sa sensibilité, son ouverture, chacun pouvait, oubliant une nuit ses repères, se laisser porter par le son, envahir par les vibrations, et dégeler l’imagination. Au risque de l’overdose de beats pour les uns, du manque pour les autres.

(2) Qui exigeaient que l’on courre d'un magnéto à l'autre, qu’on déclenche cinq ou six boucles en même temps, que l’on contrôle depuis la console six bandes magnétiques simultanées, guettant les amorces de couleur qui séparent sons ou séquences, jouant avec la bande, la coupant, la retenant, la tirant devant les têtes de lecture, tournant jusqu’à s’en dévisser les mains les boutons des synthétiseurs, câblant et décâblant sans cesse. Le plus souvent, nous travaillions debout.

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