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Denis Dufour | Notice des œuvres

Une abeille et une perle

1996 | 13'22 | opus 91 | acousmatique | support audio | 2 pistes | éditions Maison Ona

• Dédié à Jonathan Prager

• Réalisation sur magnétophones et ordinateur au studio du compositeur à Crest en juin et octobre 1996

• Prises de son : Denis Dufour

• Voix : Caroline Gardet et Michaël Jackson

• Création à Perpignan, auditorium John Cage, le 21 novembre 1996 lors du festival Aujourd’hui Musiques par Jonathan Prager sur acousmonium Motus

Voici une œuvre qui sacrifie volontiers au genre conte initiatique pour enfants, histoire à grandir debout dramatique et cocasse, et qui a la cruauté concise et grave du conte de fées, forcément acousmatique. Pour les enfants, Denis Dufour distille donc du merveilleux mais pas du fabriqué, de la discipline mais pas de l’obéissance, de la simplicité mais pas du simplisme, de la liberté mais pas de l’anarchie, bref il convoque davantage l’enfantin que l’infantile. On peut oser s’adresser aux enfants, mais difficile de penser l’enfance sans penser le mouvement qui la porte, et dont elle est l’expression à la fois perpétuelle et éphémère. Loin de fixer le petit d’homme dans une image réductrice et exploitable d’adulte en miniature, loin de le figer dans l’icône idéale et terrible d’un angélisme exterminateur, le regard sonore de Dufour interroge, soulève, explore. Si tant est que l’enfance devrait être avant tout un territoire d’exploration (et non un terrain d’expérimentations), exploration du monde par les enfants, appropriation des moyens de le connaître, et exploration du monde des enfants – c’est à dire du nôtre en tant qu’ex-enfants – par les adultes.

Quel art sinon l’art acousmatique, resté si proche du jeu fondamental, de l’amusement essentiel, est celui où les règles s’inventent à mesure qu’on joue, où l’univers existe à mesure qu’on le scrute, de toutes nos oreilles ? Et comment distinguer le regard porté sur un enfant du regard porté sur notre propre enfance, comment oublier qu’il est avant tout un potentiel, une métaphore absolue du devenir ? Évoquer l’enfance c’est se nourrir de ce potentiel, et non définir une espèce particulière d’être. Non pas capturer l’espèce en voie de disparition… mais libérer l’être en voie d’apparition. Avec l’obsession de ne pas contrarier la structuration prodigieuse et ordonnée qui fait d’un ectoplasme unicellulaire – mais peut-être déjà pensant – un être doué d’un corps, de sentiments, et de raison. Et de diriger son autonomie vers un destin spirituel unique.

Leçon de choses d’une banalité mystérieuse, initiatique, qui ne confond pas le réel et le quotidien (et en effet ça n’a rien à voir), la pièce de Dufour étudie donc avec éloquence les ready-made dont sont coutumiers les enfants, les collages absurdes qui sont le début de l’intelligence. Dali a dit un jour : « je n’aime pas les enfants, mais ce que je déteste par-dessus tout, ce sont les dessins d’enfants ». On aime à voir dans cette déclaration iconoclaste (au sens premier) une allergie non au génie natif, mais à son dévoiement par une éducation… inappropriée. Dufour quant à lui semble entendre dans cette œuvre le son du réel fantastique, le goût de la vraie vie, où l’activité n’est pas un travail (c’est-à-dire une torture) et où l’on ne gagne rien au jeu sauf à être davantage soi-même. Où la perfection n’est pas recherchée mais donnée de surcroît, et où le plaisir a un but (lequel ?). Où l’on ne s’interroge pas sur le sens car le sens on le sent, ce que sentent tous les enfants qu’on n’a pas forcés trop tôt à devenir adultes, c’est à dire à se rendre esclaves des désirs de leurs parents. Une vie où la philosophie – c’est-à-dire l’amour de la sagesse – n’a pas été confisquée par des spécialistes, une vie faite de disponibilité, et non de questionnements…

Puis-je vous inviter à cette disponibilité, où la prière est un remerciement et la demande une proposition, puis-je donc vous convier à prêter l’oreille à cette attentive déconstruction du réel, chose simple et simple leçon de choses, bâtie à partir des miracles de la trouvaille.

Une abeille, morte d’avoir trop aimé, et une perle, née d’un surcroît de vie, seront nos guides. Le bric-à-brac d’un magasin de jouet où l’on joue à rien sous la table, la mécanique éventrée par le sadisme ingénu d’une petite main, et la scansion lancinante de la métamorphose, faite de révolutions coperniciennes sur fond de continuum… Tout cela sera notre décor et notre rythme. Une savante fiction s’en suit, qui n’est le souvenir d’aucun livre et le chemin d’aucune vérité… Bon voyage. [Jérôme Nylon]

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