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Denis Dufour | Notice des œuvres

Avalanche

1995 | 56'00 | opus 82 | éditions Maison Ona

pour piano

01. Aperdlaut (première neige) [02:10]  ·  02. Aput (neige sur le sol) [02:20]  ·  03. Quaniit (neige qui tombe) [02:50]  ·  04. Kanik (poudreuse qui tombe) [03:10]  ·  05. Apivok (gros flocons de neige) [01:10]  ·  06. Persok (tourmentes de neige) [01:10]  ·  07. Masak (neige humide) [03:30]  ·  08. Pugak (neige croûteuse) [02:00]  ·  09. Quinek (neige fondue) [03:30]  ·  10. Aput aajivitseq (neige éternelle) [07:20]  ·  11. Kanigpok (neige en repos) [03:40]  ·  12. Makornat (neige glacée poussée par le vent) [02:10]  ·  13. Mangerkak (croûte de neige gelée modelée en vagues par le vent) [01:00]  ·  14. Kinernek (sur la banquise, neige modelée en vaguelettes) [01:32]  ·  15. Kakak persopok (la montagne qui fume) [02:01]  ·  16. Alittineq (versant abrupt des congères) [02:16]  ·  17. Paarwaq (rafales de neige) [02:12]  ·  18. Piseeq (abris de neige pour la chasse) [02:46]  ·  19. Ittinngaq (igloo) [07:24]

 

 Dédié à François-Michel Rignol 

• Demande de Gülsin Onay 

• Commande du festival Aujourd’hui Musiques (Perpignan) 

• Création des mouvements 1 à 10 à Perpignan, auditorium John Cage, le 20 novembre 1995 lors du festival Aujourd’hui Musiques par François-Michel Rignol 

• Création intégrale à Perpignan, auditorium John Cage, le 21 mai 1996 lors de Aujourd’hui Musiques en saison par François-Michel Rignol

En dix-neuf mouvements de durées et d’humeurs très différentes, c’est l’infinie variation des états de la neige et le riche vocabulaire que les Inuits lui ont consacré depuis qu’ils vivent sur le continent de glace, le Groenland, que cette œuvre se propose de parcourir. C’est une inspiration de morphologies, une transposition d’un certain type d’énergie et de liaisons d’un univers physique à un univers musical qui opère dans cette œuvre, incluant ce que les rythmes et les timbres si particuliers de l’art sonore des Inuits – à la fois dans ce qu’ils ont d’intime et d’étrange – peuvent avoir d’influence évocatrice. On pourra s’étonner de ce que cet art essentiellement vocal et ludique puisse en quoi que ce soit influencer une écriture pianistique. Mais la tentative de faire saisir des événements fugaces et fragiles dans leur archaïsme par le piano, symbole d’un ultime aboutissement technique, figé par le XIXe siècle, peut amuser et stimuler : elle transcende paradoxalement ce que le modernisme arrêté de la technologie romantique des instruments encore utilisés aujourd’hui en occident a de désuet. Elle insuffle à l’univers trop connoté qu’est l’univers pianistique une modernité inattendue.

Revenons toutefois à l’idée-force, l’argument principal de cette œuvre. Dans l’ensemble du travail de Denis Dufour, l’eau paraît avoir une force de révélation, d’entraînement et constitue une thématique sous-jacente subtilement prégnante, un leitmotiv, un berceau d’inspiration. Sorte de sève tour à tour bouillonnante et tranquille, elle baigne le milieu intérieur de bien de ses œuvres d’une sorte d’énergie particulière, archétypale, liée à toute une chaîne d’ambiances, de références affectives et de valeurs spirituelles, à un certain type d’égrégore.

Là, la forme emblématique du cristal de neige, sa fragilité toujours changeante, son symbolisme chargé de pureté, d’innocence (à l’image de celle des peuples rencontrés par Jean Malaurie) offre une transformation décisive à cette conduction fondamentale. C’est le mystère paradoxal de l’énergie figée – avec ses aléas sonores d’étouffements et de crissements, “son-ambiance” faite d’endormissement et d’angoisse, “son blanc” à la fois plein et vide, couleur totale et absence de couleur – qu’on se propose d’explorer dans une musicalité qui rend discrètement hommage aux pas qui l’ont précédé (Des pas sur la neige, ceux de Debussy).

On retrouvera par ailleurs dans la structuration par thèmes mélodiques et morphologiques le plan d’un cristal complet que parcourt l’ensemble des dix-neuf mouvements de l’œuvre. Une chaîne de cellules sonores agrégées qui fait songer à l’agrégat précis et figé des molécules d’eau, agencées dans un summum d’ordre et de fragilité. Des combinatoires serrées, servant les développements mélodiques et rythmiques, prennent modèle sur ses séquences atomiques, rendant à la fois hommage aux Paroles dégelées de Rabelais-Schaeffer et à l’audacieuse hypothèse de la Mémoire de l’eau du physicien Jacques Benveniste.

Enfin Avalanche suggère qu’au-delà de l’univers figé et parfait des espaces glacés du grand Nord, des mouvements pulsionnels animent de temps à autre les paradis les plus ordonnés, et font surgir d’inquiétants désirs d’ensevelissement, des tentations de fusion glacée. Le danger de fixité qui guette le chercheur d’oubli se ranime, à mesure qu’on suit sa pente en la remontant, et fait planer sur l’œuvre un climat d’attente inquiète qui exaspère la fascination. [Thomas Brando]

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