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Denis Dufour | Notice des œuvres

Golgotha

1995 | 26'50 | opus 81 | acousmatique | support audio | 2 pistes | éditions Maison Ona

• Commande de l’Ina-GRM

• Réalisation sur magnétophones et sur ordinateur au studio du compositeur à Crest

• Prises de son : Denis Dufour

• Jeu vocal sur dictaphone : Stéphane Dune

• Intervention vocale involontaire : Liliane Mazeron, soprano

• Voix : Denis Dufour

• Fragments de texte : Thomas Brando (Lettres à Philippe et Flèches), Marc Jaffeux (Requiem) et Michel Ange (Quartina XI et Sonetto a Tommaso Cavalieri XXV)

• Création à Paris, auditorium Olivier Messiaen de la Maison de la Radio, le 20 février 1995 lors du cycle acousmatique de l’Ina-GRM Son-Mu 95 par Denis Dufour sur acousmonium du GRM

Les orages de la vie nous réservent bien des surprises. C’est au détour d’un de ces orages qui advint comme un coup de tonnerre dans mon ciel bleu, que j’ai ressenti la puissante fragilité du sentiment humain. Sentiment d’appartenance à la communauté des hommes, sentiment de ma propre valeur et de ma place au monde, sentiment de confiance et d’abandon à l’amour d’un être. Il a suffit que ce dernier indice d’existence se mette à disparaître pour que ma vie se colore d’un noir absolu et m’offre la révélation de son absurdité, le cadeau de mon impuissance générale à trouver réponse aux attentes humaines les plus essentielles.

La beauté, la récompense d’une vie (l’amour, en réalité force essentielle qui nous tient debout en tant qu’êtres humains) a failli, s’est dérobée entraînant dans sa liquidation toutes mes autres entreprises. Les insuffisances, les petits échecs jusqu’à présent tolérés ont fait chavirer, augmentés du poids d’une cerise, l’ensemble du vaisseau. Exhumer du plus profond de soi le vrai sentiment, puiser à la source noire de la douleur, voilà ce qui m’a permis pourtant de rejaillir, de survivre au court-circuit, de rétablir peu à peu le courant de la vie. De trouver finalement la force du “oui”. C’est ce point zéro d’après la coupure, ce calme catastrophique et pourtant ouvert à tous les possibles, parcouru des frémissements de l’enfer et tendu vers le bonheur que j’ai voulu interpréter à ma manière. La révélation c’est le mystère, et le mystère qui blesse, c’est le mystère qui instruit.

Sept couches superposées de prises de son, jeux sonores continus poussés ingénument, transpercés d’éclairs et d’éclats de voix maléfiques et lucides, de lettres de revendications ou d’abandon composent ce voyage, parsemé de virages et de transformations initiatiques. Une nasse, suspendue entre mer et ciel, qui a attrapé toute une pêche miraculeuse faite de souffrance et de providence. Les textes et poèmes qui ont servi à l’élaboration de cette œuvre ne doivent pas être repérés par l’auditeur dans leur intelligibilité totale (ce serait impossible) mais plutôt comme des traces, des réminiscences, des fantômes à cheval entre sentiment et pensée, entre intériorité continue et expression fugace. À entendre avec son âme plus qu’avec son esprit.

Pourquoi un tel pessimisme ? « Vous confondez pessimisme et évidence » a dit un jour Robert Bresson. Jamais dans l’histoire de l’humanité, la destruction n’a semblé si proche. Ce n’est pas un sentiment imaginaire, mais une réalité palpable. Écoutez les interviews qu’a données Robert Oppenheimer au début des années 50, teintées d’une tristesse et d’un désenchantement bouleversants… J’ai la volonté de croire qu’en touchant les gens à travers une œuvre, on peut avoir une petite influence sur eux, même si Woody Allen déclarait récemment de son côté : « l’art ne change rien à la vie, hélas ». Si je pensais totalement cela, je ferais des musiques de distraction, des musiques pour divertir (c’est-à-dire détourner). Les vrais pessimistes sont ces artistes-là : ils pensent que l’homme ne veut pas voir la réalité. Ils ne se sentent plus aucune responsabilité vis-à-vis du public : sinon de soigner leur propre ascension sociale et de satisfaire l’inquiétante propension à la fuite et à l’oubli de la majorité des hommes. Pour moi la lucidité, c’est le véritable optimisme. Il consiste à faire confiance à la réalité, aussi navrante qu’elle paraisse, à faire corps avec. Et l’art dans son extrême artifice, parce qu’il stylise et exacerbe toute chose sans concession aux peurs communes, est un révélateur de ce réel auquel je crois. Seule une attitude réelle peut modifier le réel et lui redonner son sens. C’est l’effet d’une œuvre d’art que de transmettre une part cachée de la vérité, à l’insu de tous et comme par surcroît. [Denis Dufour]

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