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Denis Dufour | Notice des œuvres

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

1989 | 67'22 | opus 54 | acousmatique | support audio | 2 pistes | éditions Maison Ona

• Commande du Ministère de la Culture et de la Communication

• D’après une idée de Thomas Brando

• Réalisation sur magnétophones au studio du compositeur à Crest en été 1987, été et décembre 1988, janvier 1989

• Prises de son : Denis Dufour

• Jeu sur les carburateurs d’une Rolls Royce Silver Shadow : Alain Gonnard

• Enregistrement de la voix : Silver Berg et Denis Dufour

• Voix : Thomas Brando

• Texte : Stig Dagerman

• Traduction du suédois : Philippe Bouquet pour les éditions Actes Sud​

• Création à Paris, auditorium 104 de la Maison de Radio France, le 16 janvier 1989 dans le cadre du Cycle Acousmatique de l’Ina-GRM par Denis Dufour sur acousmonium GRM

Lorsqu'en 1987, Thomas Brando me présentait le texte de Stig Dagerman et qu'il me faisait part de ses idées, le projet m'apparut difficile et fort éloigné de mes préoccupations habituelles. J'étais confronté à un texte long, d'une écriture directe, aux significations claires, correspondant peu à mes choix littéraires passés. La première contrainte que je m’imposai était qu'il fut compris de bout en bout. Nous avons donc travaillé sur un style de lecture le plus contrasté et le plus varié possible, mettant le locuteur dans des situations inattendues et multiples. J'ai poussé très loin cette mise en scène de la voix. Ainsi nous avons tourné en décors naturels aussi bien qu’en intérieur. De cette façon, je désirai pouvoir coller au texte jusque dans son réalisme, sa lucidité pour en donner une version panoramique sur écran géant, vaste fresque composée d'images et d'objets saisis sur le vif : expressions sonores d'éléments de la nature, manifestations bruyantes d'êtres animés, chants et cris de machines, en me rapprochant des limites – encore bien gardées – de l'art acousmatique.

À propos du texte…

« Une dernière conférence avant de mourir », tel pourrait être le titre préambule de l’un des derniers écrits de Stig Dagerman. Une déclaration d’un désespoir absolu, alimenté cependant par une brise légère d’innocence, par un vent frais qui délivre de l’angoisse le temps d’un souffle. Dire encore une dernière fois la beauté du monde, incarnée par les forêts et les mers de son enfance, par des instantanés qui suggèrent que le bonheur est à la fois réel et impossible. Mais peut-être que tout simplement le réel est impossible dans les conditions que les hommes se sont faites à eux-mêmes et qu’ils s’infligent.

On sent dans le texte des grands coups de panoramiques, des bouffées de nature suédoise, une énergie réparatrice et indépendante qui ranime. On sent dans le jeu invoqué des éléments toute la réserve mystérieuse et simple dans laquelle Stig Dagerman sait qu’il peut se renouveler et vivre : mais il n’y vit pas, et l’inépuisable se rétracte et s’étiole. L’épuisement au contraire accable l’homme qui cherche à vivre authentiquement, celui qui ne se renie pas se condamne à l’étouffement.

« Dans les formes figées de la société », l’intransigeance juvénile de l’écrivain ne trouve nulle issue, nulle forme où exploiter ingénument sa liberté. Dagerman semble vouloir mettre en scène une dernière fois tous les éléments qui le portent vers l’idéal humain de liberté créatrice, et tous les éléments qui le contraignent au contraire à l’inhibition peureuse, à n’être qu’une sous-espèce d’homme oscillant désespérément entre l’apparition et la disparition, comme le feu vacillant de sa propre confiance en lui-même et en ses possibilités. Au milieu d’un orage perpétuel où la foudre prendrait le visage de la répression sociale et des contraintes de l’administration, il déchire pour nous l’écran qui nous masque la vraie vie, qui nous rend étranger à nous-mêmes, et fait admirer l’embellie : le réel scintillant lui apparaît tout d’un coup dans l’œil comme un astre apaisant.

Toute la poésie extraordinaire et frémissante, toutes les tendances inouïes de l’âme humaine branchée sur les courants bienfaisants de la terre et du cosmos nous suggèrent ici par un bruit splendide que la vie est finalement (im)possible. Autant la disparition que la terre sont promises au poète, et il vogue à la fois vers les deux pôles de sa cyclothymie : lequel, du bénéfique ou du maléfique, se rapprochera finalement le plus vite de lui ? [Thomas Brando]

 

À propos du travail de composition…

…La notion un peu approximative de cinéma pour les oreilles est une métaphore assez juste de ce type de musique. Dans le cas de cette œuvre, l’approche cinématographique est même une idée de composition, et elle a inspiré bien des prises de sons et de paysages sonores présents dans l’œuvre. J’ai considéré, sans connaître l’œuvre entière de Stig Dagerman, qu’il s’agissait non véritablement d’un testament, mais d’un moment exceptionnellement clair et serein dans la tourmente de la vie de l’écrivain, un moment où un homme presque transparent, dans une lucidité mêlée de force et de frayeur, envisage les différentes impasses auxquelles l’a conduit la recherche du bonheur…

J’ai imaginé Dagerman au haut d’une montagne, dominant à la fois les forêts, la mer et une grande cité, dominant le temps d’une éclaircie tous les épisodes heureux ou malheureux de sa vie, et brisant pour quelques heures la répétition de sa souffrance dans une tentative extrême de réconciliation et d’élucidation. C’est pourquoi l’œuvre est à la fois une parenthèse, un spectacle, un divertissement comme il en est donné dans les contes quand tout semble aller pour le pire et que l’action s’arrête brusquement pour faire place à une autre action, plus onirique, plus symbolique, une histoire à l’intérieur de l’histoire et chargée d’éclairer et de résoudre celle-ci tant pour les acteurs du conte que pour ses spectateurs. De même, nous avons tenté, avec Denis Dufour d’éclairer le texte de Dagerman à notre manière, en fouillant les images qu’ont appelées dans nos esprits les préoccupations, les doutes et les intuitions universelles que scande ce très beau texte. Pour ma part, j’ai tenté d’en extraire toutes sortes de significations potentielles, et c’est un personnage multiplié (ou divisé ?) dans le temps et dans l’esprit qui dit ainsi, tour à tour serein ou tourmenté, bizarre ou hystérique, révolté ou prétentieux, absent ou plein de souffrance une parole qui reste assez calme et contenue dans le livre.

Aussi on n’y entend rien de la retenue convenable, ni du consensus minimum requis pour éviter de choquer tel ou tel lecteur, plus amateur de littérature que personnellement concerné par les interrogations et les émotions exprimées dans le texte. En prenant le risque d’interpréter tendancieusement ce qui aurait pu n’être que murmuré (comme une prière) ou récité (comme un poème), nous n’avons pas craint de surprendre quelques admirateurs et exégètes, avec des échos émotionnels étrangers peut-être à leurs propres sentiments, et à leur idée de ce qui convient à une telle œuvre… [Thomas Brando, Paris le 26 février 1990]

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