Denis Dufour | Notice des œuvres
Torrents du miroir
1991 | 17'00 | opus 64 | éditions Maison Ona
pour soprano, mezzo-soprano, haute-contre, baryton, flûte (jouant le piccolo), saxophone alto, cor, trompette en ut, trombone, violon, contrebasse à 5 cordes
• Texte de Thomas Brando
• Création à Montreuil, auditorium Maurice Ravel de l’ENM, le 25 mai 1991, par les Jeunes solistes de Rachid Safir et un ensemble instrumental sous la direction de Daniel Chabrun
Petite thérapie musicale ou groupes de mélodies émotionnelles, c’est selon. Allers-retours, et passages d’une peur à une autre, d’un rêve à un autre, d’une obsession à une autre, d’une femme à une autre, d’un homme à un autre, d’une forme à une autre, d’un esprit à un autre esprit : projection d’énergies psychiques mal emmagasinées ou enregistrement défaillant de l’image de l’autre, si l’autre est le miroir déformant de notre propre personne ou si avec notre propre personne, pleine de désirs et de peurs figées, fixées par le refoulement comme des déchets atomiques toujours dangereux, toujours menaçants, nous nous faisons une image déformée de l’autre, si nous sommes un miroir qui réfléchit trop avant de renvoyer les images, si les images du monde extérieur se perdent dans notre monde intérieur corps et âmes, comme une eau pure dans le tonneau des Danaïdes, un gaz vivant aspiré par le vide. Si nous sommes en définitive une serrure dans laquelle toutes les clefs se trouvent piégées et se cassent.
Mi méli-mélo, mi mélodrame, drame piégé : partie de ping-pong exténuant de l’esprit, corps à corps, esprit contre esprit, âme contre âme, exaspération du désir d’étreindre et d’être étreint, musique du ventre et de la bouche, trémolo, théâtre, vibrations composées à l’emporte-pièce, négations, négociations, désintégrations, intégrations, fusions, éclatements. Ce sont les scènes cachées de la vie de tous les jours qui se jouent dans cette chambre de musique, couveuse d’émotions trop longtemps contenues, de souffles trop réprimés, de bruits étouffés et de chants trop oubliés, révélation de l’oubli de l’oubli de la peine et libération symphonique en forme de cri, marche en forme de cristal : si les héros sont fatigués, c’est qu’ils ne se sont pas assez mis en colère, et si le torrent s’assèche, c’est que nos larmes de joie ont oublié de couler dans les iris.
[Thomas Brando, juin 1991]