
Denis Dufour | Notice des œuvres
Lluvia
2023 | 06'50 | opus 198 | acousmatique | support audio | 2 pistes | éditions Maison Ona
• Troisième volet du triptyque Volver, Selva, Lluvia
• Réalisation sur ordinateur au studio du compositeur à Brandivy
• Prises de son : Denis Dufour
• Création à Palma de Majorque (Les Baléares), Teatre Principal de Palma, le 16 décembre 2023 lors des XLIV Encontre Internacional de Compositors par Denis Dufour
« Aujourd’hui tombe la première véritable pluie, j’entends la première de ces pluies dont la violence monotone ne peut nous tromper ; la saison sèche est terminée, il pleuvra bientôt un jour sur deux, puis deux sur trois, puis vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pendant des mois. Les torrents dévalant la montagne vers la plaine croîtront chaque jour, les rapides engloutiront leurs rochers et formeront au-dessus des barrages des vagues infranchissables en même temps que décuplera la force du courant… Nous ne sentons pas la fatigue de nos corps parce qu’un enthousiasme et un espoir les soutiennent, mais il n’en est pas de même des machines ; elles sont lasses de tant de forêts, de tant de moisissure et d’humidité…
Les matins étaient humides, gris, froids et sans oiseaux ; les jours soumis à la pluie, qui crevait le ciel et frappait la rivière avec une telle impétuosité que nous ne savions plus parfois où était le haut et où était le bas dans ce monde liquide qui nous entourait et nous pénétrait… L’or et l’azur étaient également exclus de notre univers dans cette pleine saison des pluies. Il n’y avait que le blanc sale du ciel et de l’eau, étincelant ou mat et l’éternel vert de la forêt. C’était le temps idéal des maladies, grippes, bronchites, moisissure et autres pestes… Nous comprîmes tout à fait pourquoi les Maquiritares désignent du même mot la couleur verte, l’humidité et la souffrance. La saison des pluies se dit dans leur langue : l’année de l’eau, mais elle se dit aussi le temps de la maladie et il faut en vérité une religion strictement mâle et solaire qui est la leur pour combattre la terrible hostilité de ces longs mois de douleur et d’insécurité morale autant que physique qu’elle leur apporte chaque année. » [Alain Gheerbrant, L’Expédition Orénoque-Amazone 1952]