Denis Dufour | Notice des œuvres
Origine
2016 | 17'50 | opus 179 | acousmatique | support audio | 2 pistes | éditions Maison Ona
• Dédié à Dieter Kaufmann
• Réalisation sur ordinateur au studio du compositeur à Paris 19e
• Prises de son : Denis Dufour
• Enregistrement de la voix : Hamish Hossain
• Voix : Gunda König
• Création à Wien (Autriche) à la Alte Schmiede le samedi 23 avril 2016 par Denis Dufour
Origine est travaillé comme un récit illustrant ce qui, dans la petite enfance de Dieter Kaufmann, l'a attiré vers le son et la musique : le violon paternel, les alertes à la bombe durant la guerre, la famille, la vie à la campagne, la fin de la guerre et le retour à la paix… Ce ‘film sonore’, qui évoque les années 1941 à 1945, est directement inspiré de ses “mémoires”.
1941
Naissance de Dieter Kaufmann
1942-1943
Je suis assis sur un cheval à bascule dans notre appartement à Wien. Papa joue au violon, toute la journée. Moi, je joue aussi sur une imitation de violon en bois plein avec cordes en ficelle – donc muet. J’essaie de synchroniser mes gestes avec ceux de mon père.
1943
Alerte à la bombe à Wien. Dans la cave-abri, sombre et étouffante, seules les cigarettes jettent une faible lueur rouge.
En route vers la Carinthie – villégiature en pleine guerre !
Dans le tunnel du col de Semmering, pas de lumière dans le train. Seules les cigarettes ont une faible lueur rouge.
Sous le grand sapin de la Villa Larisch à Rennweg près de Feldkirchen, un serveur aux gants blancs nous sert des fraises avec de la crème fouettée – tout cela en pleine guerre.
1944
En route sur le dos d’un âne avec Monika Larisch pour atteindre la prochaine ferme. Sur un pont, l’âne s’arrête net et ne veut pas traverser. Un facteur qui passe par là lui tire le pattes de devant ; et voilà, l’âne continue. C’est comme ça que cela se fait !
Le 5 juillet, ma sœur naît : Christiane Paula Susanne (avec les deux prénoms des deux grand-mères). On emmène ma mère à l’hôpital sur une charrette déglinguée du fermier voisin – ce qui a sûrement accéléré la naissance.
Dans la salle de bain de la Villa Larisch, je me trouve devant un grand miroir. Une bombe détruit la gare de Feldkirchen en bas dans la vallée. Le miroir se penche lentement, risque de me tomber dessus. Au dernier moment, je prends la fuite et sors par la porte. Des milliers d’éclats sur le carrelage en faïence.
Une fois, je vais avec ma mère chez le fermier voisin pour récupérer de la nourriture. Juste au moment où nous arrivons dans une clairière de la forêt, un avion apparaît à basse altitude. Il me semble pouvoir discerner un soldat avec son arme dans la cabine. Nous nous jetons à terre – il a déjà disparu. De nouveau une frayeur pour la vie !
1945
Maintenant déjà dans la Villa Widmann chez les grands-parents, mon père a besoin de crins pour son archet. Le fermier voisin lui permet d'en couper quelques uns dans la queue de son cheval de labour. Ils sont complètement noirs et mon père les fixe aux deux bouts de la baguette avec de la cire à cacheter rouge. Tout cela à la lumière des bougies à cause de l'obscurcissement ordonné en raison des bombardements.
La guerre est terminée. Sur le grand champ devant la maison de mes grands-parents, dans Waiern n° 28, campent de petits groupes de soldats. Ils vendent ce dont ils n’ont plus besoin. La famille de mon oncle compositeur achète une bicyclette avec un guidon un peu en forme de ramure (on lui donne le nom de “cerf”).
Le voisin achète une charrette avec laquelle il transporte à la ferme le lait tiré à la main dans les pâturages.
Temps de paix. La maison est pleine des grands-pères, grands-mères, oncles, tantes, cousins, cousines. Par une fenêtre entrouverte, j’entends que la famille parle de moi. Désormais je sais que j‘existe ! [Dieter Kaufmann]